Le texto est entré en fin de journée. Dans le reflet humide des yeux de mon amoureux qui venait d’encaisser le message, je me suis revue, au bas de l’escalier de mon appartement du 3e étage. On allait jouer la même scène, mais avec de nouveaux acteurs.
Sur le granit du comptoir, il a fait glisser son téléphone dans ma direction en cachant son visage. Le chien qu’ils avaient dû donner à la fin de leur histoire arrivait au bout de sa route, et on leur proposait de leur apporter l’ancien compagnon pour qu’ils lui fassent, fort probablement, leurs derniers au revoir.
Je n’avais pas prévu l’accompagner, parce que ce chapitre ne m’appartenait pas, et surtout, parce qu’il reste parfois certaines portes à fermer en compagnie de celui ou celle avec qui on a déjà fermé la plus grande. Mais il a insisté et je l’y ai suivi. J’ai pensé que souvent, c’est en le voyant avec son chien qu’on prend la pleine mesure de l’homme.
Moi, j’avais déjà marché dans ce sillon. Il y avait eu ce dimanche matin glacial et ce chat américain, dont j’avais regardé le museau se lover tranquillement entre ses deux pattes avant sous l’effet du poison, la main d’une amie dans la mienne. Plus tard, au bas de mon escalier, on avait pleuré un peu, le déjà-ancien-amoureux et moi, parce que ce chat avait partagé notre aventure new-yorkaise et que, de ce chapitre de notre longue histoire d’amour, c’était la seule chose qui restait. Ce dimanche-là, à quelque part dans un hôpital vétérinaire de la rive-sud – le seul qui était ouvert – j’avais dû éteindre le dernier phare d’une époque, et il n’y avait que l’ancien amoureux pour saisir le symbolisme de l’événement. T’as beau avoir verrouillé la grande porte d’un bord comme de l’autre, il existe toujours un perron connu de vous deux seulement.
La magie de l’animal de compagnie, c’est de rester le même pendant que toi tu vis ta vie, pendant que tu montes et descends les montagnes russes, que tu t’affaires à devenir grand, à devenir autre, à changer de décors avec des gens qui changent dedans. En 10 ans, j’avais déménagé six fois et dans deux pays différents, occupé une couple d’emplois et ramassé une foule de nouveaux visages. J’avais aussi eu un enfant, puis vécu une peine que j’avais crue inconsolable. Mais en marge de toutes les feuilles de cette décennie, il y avait eu ce chat calico, comme un point de repère trois couleurs et immuable. La magie de l’animal de compagnie, c’est de te grounder alors que toi t’enfiles les pages.
J’ai pleuré en le voyant pleurer devant son chien, et je l’ai regardé étirer l’avant-midi en silence devant la bête qui ne bougeait presque plus. Une fenêtre grande ouverte sur le coeur immense de mon homme, dans un autre dimanche matin à remercier un fidèle compagnon pour la ride. Quand il s’est enfin levé pour marquer la fin, avec pudeur j’ai détourné le regard devant l’étreinte des anciens amoureux. Parce que c’était leur chapitre à eux et l’un de ses phares.