Michael Jackson et Nostradamus

J’avais peut-être 10 ans. On était juste à côté du jardin, où ma mère faisait pousser des concombres presque en exclusivité. En croquant dans une tige de rhubarbe, Claudia Gobeil m’a annoncé que Notredamus (sic) avait prédit la fin du monde.

J’ai tremblé toute la soirée. J’étais tellement à côté de moi-même que ma mère m’a demandé si j’avais commencé à être menstruée. Pour que la conversation ne s’engage pas davantage sur le thème des serviettes et autres mots horrifiants, j’ai craché le morceau. À ce jour, je saisis mal pourquoi, devant mon visage vidé de son sang, elle m’a d’abord répondu que son nom était Nostradamus, me confirmant du coup qu’il avait existé. J’étais déjà assez étourdie, fallait qu’elle ajoute que le dernier pape serait Jean-Paul III.

À l’école, en catéchèse, on avait parlé de Jean-Paul II, on avait même appris son nom. Karol Wojtyła avait l’air vieux, et j’ai fait le calcul : la fin était proche. Vertige.

Finalement, il n’y a jamais eu de Jean-Paul III, et donc pas d’apocalypse. C’est probablement parce que pendant 10 ans, mon voeu de 11 h 11 a été que « la fin du monde n’arrive jamais ». Vous me remercierez plus tard.

Quelques années auparavant, j’étais couchée dans mon lit pour la nuit quand mon père est entré dans ma chambre pour m’annoncer que les cheveux de Michael Jackson avaient pris feu pendant le tournage d’une pub de Pepsi. Enfin, j’imagine qu’il était entré pour me souhaiter bonne nuit, et qu’il avait cru bon relayer la nouvelle en même temps; je vois mal pourquoi il serait monté du sous-sol uniquement pour me faire freaker avec des visions du crâne dégarni de ma vedette préférée. J’ai cru que j’allais être malade sur ma douillette à motifs égyptiens.

Le noeud dans le ventre, le loop, la perte de contrôle. L’anxiété.

Quand les deux épisodes anxieux les plus marquants de ton enfance concernent Michael Jackon circa Thriller et une affaire de fin des temps à côté d’un potager des années 80, on peut supposer que tu as eu une jeunesse heureuse et dénuée de tout drame.

Cela dit, la force de ces premières angoisses sur une tête presque neuve dont le plus gros stress quotidien jusque là consistait à trouver une bonne cachette pour la clé de son journal intime, ça soulève des questions : est-ce qu’on ne vit pas aujourd’hui avec possiblement ce même niveau d’anxiété chaque semaine, si ce n’est chaque jour, sans plus le réaliser? Ça ne me donne pas envie de lire un compte-rendu de l’état de mon système nerveux. Ou digestif. Et surtout des moyens malsains que mon corps a trouvés pour gérer chaque jour ces excès d’adrénaline.

Fixer le plafond de ma chambre à 4 h du matin en me répétant que je dois vraiment payer mon ticket de stationnement qui vient de doubler, je trouve que c’est une très mauvaise utilisation de mon temps. C’en est-tu un, ça, un mécanisme de gestion? Répartir les anxiogènes sur 24 heures? Eille, bravo. Mes cernes font dire que c’est moyennement au point.

Je n’ai pas vraiment de réponses à toutes ces questions. J’y pensais, en grignotant l’intérieur de ma bouche. Je ne m’angoisserai pas avec ça.

 

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