L’homme en habit transportait trois chemises dans un sac transparent de nettoyeur : une blanche, une bleue, et une lignée bleue et blanche. Celle sous son veston était bleu ciel. Peut-être que l’audace était dans sa cravate et ses bas rouges? Je ne suis pas à l’affût des tendances dans le domaine des affaires.
Tandis que je lui inventais une vie en lisant à l’envers la facture accrochée après les cintres et en pensant ça coûte donc ben cher faire nettoyer des chemises bleues, une olive noire dénoyautée a roulé entre nos pieds. J’ai d’abord cru que c’était un raisin, puis un bleuet, parce que qui grignote des olives en canne dans le métro? Une madame qui portait ces malheureux souliers de cuir avec des orteils l’a écrasée sans la voir. Là encore, j’aurais apprécié un témoin, juste un. J’étais dans une pièce de théâtre expérimental, mais je n’ai pas réfléchi longtemps à la signification de l’affaire.
On n’a pas besoin de chercher des symboles et des métaphores partout, tsé.
Mes écouteurs me jouaient tout croche un mauvais shuffle depuis Square-Victoria, jusqu’à cette toune de Radio Radio. La toune d’un début. Je me suis demandé ce qui était pire : être la personne qui est malade dans un wagon, ou être celle qui pleure. Deux expériences qui manquaient à mon cheminement, mais que je n’avais pas nécessairement envie de vivre non plus.
On n’a pas besoin de tout essayer, tsé.
Une fois, j’ai tenu la main d’une inconnue qui était pliée au-dessus d’une poubelle du métro, en attendant les ambulanciers. Et trois fois j’ai demandé à des passagers qui n’arrivaient pas à contenir leur peine si ça allait. J’ai regardé autour de moi : il y avait l’homme à la cravate rouge, la madame aux mauvais souliers, et une couple de gens encore moins avenants. J’ai pensé qu’aucune de ces personnes ne me tendrait la main si je m’épanchais. J’ai touché l’épaule de la fille à côté de moi et lui ai dit que j’aimais ses cheveux. Apparemment, j’ai fait sa journée. Facile comme ça : un compliment gratuit, une réaction charmante, un mauvais feeling potentiel mis en échec. I win.
Les mélomanes ont des histoires qui commencent avec un band et finissent avec un autre. Leurs trames se tissent de musiques à partager, écoutées en boucle les jambes et les coeurs emmêlés, en road trip ou dans la tempête d’un lit. Après la fin, il y a ces artistes qu’on emballe parce qu’ils rappellent un temps qui n’existe plus. Comme on se sépare les meubles, on laisse aller les éphémères, mais on garde toujours Beck, parce qu’il nous suit depuis bien avant.
Faque. Je n’ai ni pleuré, ni vidé mon estomac dans mes mains, parce que vraiment, je n’avais envie d’aucun des deux. Une toune de 2012 n’allait pas résonner dans un samedi de 2014. Je me suis dit ride on et j’ai arrêté le shuffle en souriant. Il y avait un nouveau band que j’avais envie d’écouter.