Je ne connais pas les parfums, mis à part celui que je porte et ceux qui me donnent mal à la tête. Je marchais dans un effluve de Poison, de Christian Dior, en me disant qu’il était pressant que j’effectue un dépassement : la fragrance faisait non seulement fondre mon âme, elle me ramenait en arrière. Je ne me souvenais pas qui avait porté ce parfum, mais j’avais un feeling soudain d’inconfort. C’est ben achalant être quelqu’un que tout ramène, que ce soit une odeur, une pièce de musique, ou une robe bleue.
Mon père disait toujours qu’on se fabrique des souvenirs pour meubler nos vieux jours, et l’idée ne me plaisait pas. C’est comme se garder des chips pour plus tard. Eille, de grâce, profite et bois les miettes du fond du sac, et laisse faire les chips molles le lendemain. Pendant ce temps-là, sous le mot anticipation, il y a une photo de ma mère qui planifie son menu de Noël en plein mois de juillet.
Quand on est l’addition d’un père qui aime se rejouer le passé et d’une mère qui vit dans le futur, et qu’on veut faire un calcul, mettons, logique, on suppose qu’on devrait exceller dans l’art de saisir le présent. C’est le « mettons » dans la phrase qui résout l’équation.
Sous le couvercle, il y a un dimanche matin de juillet, le-plus-beau-dimanche-de-cette-année-là. Debout sur les pédales d’un BIXI, à 5 h 30, je roule au milieu de la rue St-Denis en souriant. L’autobus au loin est à peu près rendu à Villeray; j’ai le temps de pédaler jusqu’à Faillon. Le moment est en boîte, que j’ouvre à l’occasion, pour y toucher, le tourner d’un bord ou de l’autre, à la recherche du sourire, mais parfois aussi pour lui trouver une faille. Il n’en a pas. Les beaux souvenirs n’ont pas de failles, même quand on voudrait bien les virer à l’envers, quelques années plus tard.
J’ai enfilé la robe que je portais ce jour-là, au lever du soleil sur un vélo à deux vitesses brisées. Je l’ai enlevée tout de suite, en me disant qu’il ne fallait pas prêter trop de symboles aux objets, mais en la faisant quand même glisser jusqu’à mes pieds parce que je ne la trouvais plus belle. Ça ne change rien au moment, que je me suis répété; c’est juste la boîte qui s’ouvre, mais dans laquelle on ne peut plus mettre le pied.
Je ne me berce pas efficacement de souvenirs, comme mon père. Je les regrette. Peut-être qu’une personne nostalgique ouvre juste les boîtes trop tôt, ou trop souvent. Il fallait sûrement les pousser plus loin en dessous du lit et ensuite aller courir. Je suis sortie boire un old fashioned à la place. Anyway, ça court mieux le matin.