Elle a bougé son bras et la vague a voyagé jusqu’à moi : je connaissais cette odeur. Enfant, je travaillais fort à faire éclater les increvables bulles de bain Avon, fascinée par leur contenu mystérieux. D’autres petites fois, je m’enfermais pour assembler des mille-feuilles avec du papier de toilette et de la mousse à raser. Un psychanalyste aurait peut-être du fun avec ces infos-là, mais pas autant que moi avec les produits de beauté de mes parents.
La vague a voyagé jusqu’à moi et l’odeur m’a transportée jusqu’à la rive de mon enfance. Pendant quelques secondes, j’ai eu l’impression d’avoir la même tête, le même regard sur les grands qu’avant, celui que je posais là, sur la bouche de l’homme assis devant moi, qui jasait d’objectifs financiers. J’haïs les comédies musicales, et pourtant, s’il s’était soudainement mis à chanter, je pense que j’aurais tapé des mains fébrilement, comme une madame au balcon du St-Denis. C’était pas tant que la vie manquait de musique, c’était surtout qu’elle manquait de rythme. D’un groove de fond. Celui de Drop It Like It’s Hot, genre. Je n’aimais pas particulièrement son interprète, mais on ne pouvait qu’applaudir quelqu’un qui utilisait des bruits de bouche pour nous faire groover plutôt que nous faire freaker raide.
J’ai eu envie d’accompagner la présentation avec mon petit bouton de stylo, en plein milieu de l’intervention sur les retombées de l’an dernier, en claquant la langue, comme dans la toune. Mais j’ai eu la bouche et le pouce frileux – et la job aussi –, et je me suis tenue tranquille, en position d’écoute, comme en 3e année. Dans une odeur de produits Avon qui me donnait envie d’enduire toute la paperasse ambiante avec de la crème à barbe, je me suis demandé comment vous faisiez pour toujours rester composés. Vous aviez pas envie, des fois, de juste drop it like it’s hot?
Dans le couloir du rez-de-chaussée, j’aurais dansé jusqu’à la sortie, les yeux fermés. Mais c’était ni l’endroit, ni le moment. Ou peut-être bien que oui, justement. Et le bouquet de ballons à la réception? Pop it like it’s hot, pop it like it’s hot.
Il pleuvait fort sur Montréal, et les vieux buildings en béton se marquaient de traces gris foncé, un détail fort laid auquel, j’imagine, leurs architectes n’avaient pas pensé. J’avais l’impression de prendre l’eau moi aussi, imbibée du temps morose, l’âme également marbrée de gris. Je me suis planté Weird Part of the Night dans les oreilles et j’ai marché au rythme de claviers californiens étranges mais beaux qui célébraient l’insomnie dans toute sa créativité et qui, de toute évidence, n’en avaient rien à crisser des retombées économiques de quoi que ce soit. Je venais de tomber sur ce nouvel album par hasard, et j’avais l’impression que Louis Cole chantait juste pour moi. It’s hard to be fake with nobody else awake, That spot on the clock when the world can’t throw you off. Les synchronicités ne cesseraient jamais de m’émerveiller, mais à ce jour, je n’avais pas encore trouvé quoi faire avec. Des signes de l’Univers qui, peut-être, tenait à valider mon état d’esprit? Bien aimable, cher, mais là, astic, fallait que je fasse quoi?
Je pense que j’avais le coeur comme les blocs de béton. Pas de déprime saisonnière, juste passagère, le temps du petit bout entre Sherbooke et Maisonneuve. On était combien d’adultes à ne pas être faits tant que ça pour être grands? À se colorer de gris foncé, de temps en temps? Mais ça allait passer : ça passait tout le temps.
Dans l’autobus, j’ai cherché une fin qui éleverait ce billet de novembre. J’ai regardé les visages autour, mais en même temps, c’est pas dans la 67 Nord que tu trouves une face qui inspire un paragraphe final uptlifing. Dans la vie de grande personne, il y avait des petits passages à vide, et il fallait peut-être juste redoubler d’ardeur pour les remplir de beauté. Chez moi, j’ai fermé le store et dansé dans mon salon, mon reflet dans la télévision. Tout était encore là, et tout allait être correct. Moi, j’étais comme une bulle Avon.