Les bons fils

J’étais nerveuse. J’avais fait une croix sur cette ambition depuis un petit moment déjà, mais pas sur les battements que j’y trouvais encore quand l’occasion d’y tremper les lèvres s’offrait à moi. Sauf que je manquais de contrôle et de forme, j’aurais aimé me tenir en un tout; j’aime ça, être toute cousue. Mais personne n’était là pour la perfection. J’ai replacé mon chapeau et rassemblé tous mes morceaux. Au fond, ça ne me déplaisait pas tant que ça de refaire mon casse-tête, de marcher sur une corde de guitare les yeux à demi-fermés et de me recoudre avec, les mains tremblantes.

Bombardés de toutes parts par des symétries impossibles ou les 30 Under 30, on finit par y croire, à l’unique satisfaction dans l’excellence. Mais suffit d’un moment pour retrouver le chemin vers les frissons simples. En pensant à tout ça, j’ai bu dans la bière d’un voisin qui s’accordait. Je n’aurais peut-être pas dû, moi qui ai ensuite passé les deux semaines suivantes sur le carreau d’une pneumonie. Mais la première gorgée me ramène toujours à 15 ans et à la transparence de l’instant, à l’incertitude fébrile de ce qui va suivre. La vie est pleine de machines à voyager dans le temps, souvent nécessaires pour rebrancher les bons fils, ceux qui s’éloignent parfois dans les quotidiens droits comme des cols de chemises.

La beauté dans l’imperfection. Je travaillais fort à en retrouver le chemin, un peu changée par mon nouveau métier, où on peut corriger la même chose à l’infini. Correct. Autre domaine, autres motivations, il n’y a pas tant de comparaisons valides à faire. Mais une fille, aussi cynique soit-elle, finit par s’ennuyer du saut dans le vide, authentique et vrai et juste beau, du on va voir ce qui va se passer. Des fois faut plonger sans filet en se tenant le coeur.

J’ai pris une grande respiration et je me suis approchée du micro. J’étais en plein contrôle de mon manque de contrôle. On allait voir ce qui allait se passer. J’ai oublié la suite, cousue lousse mais vraie, asymétrique dans la lumière du moment.